Et écrire un blogue, est-ce narcissique? Voilà des questions que je me suis posées ces dernières semaines.

En fouillant dans mes vieilles affaires, je pourrais sans doute trouver quelques carnets qui m’ont servi de journal intime. Ils auraient probablement tous en commun d’avoir 98 % de pages vierges. Vu que je suis allergique aux acariens, je n’irai pas fouiller là-dedans pour prendre en photo une page inédite… mais la dernière fois que j’en ai feuilleté un, ça disait à peu près ceci (je cite de mémoire) : « Je me suis chicanée avec [insérer nom de sœur], elle est vraiment CONNE! » Puis je poursuivais ce récit très édifiant en parlant de mon kick, dont j’avais judicieusement « codé » le nom – c’est-à-dire que j’avais juste écrit ses initiales… Ouh! Mystère! (J’en profite pour vous inviter à mettre vos meilleurs extraits de journal intime dans les commentaires!)

Il n’y avait vraiment rien d’intéressant à tirer de cette lecture, mais le fait qu’il y avait toujours juste deux pages noircies est révélateur. De toute évidence, je ne voyais pas vraiment l’intérêt d’écrire juste pour moi-même et je m’en lassais vite, jusqu’au prochain carnet qu’on m’offrait. Une fois, avec mon « cousin », on avait envoyé une lettre au magazine Les Débrouillards pour se trouver des correspondants. (Ce n’était pas mon cousin, mais le fils des amis de cégep de mes parents; lui et sa fratrie sont en quelque sorte des « amis de naissance ». Et un jour, parce qu’on voulait se sauver de notre cours de natation plus tôt, on avait prétexté avoir un rendez-vous chez le dentiste tous ensemble, vu qu’on était cousins. Après, on avait continué de raconter à tout le monde qu’on était cousins, juste pour rire.) Je ne me souviens pas qu’on ait correspondu avec quiconque, mais un camarade de classe féru de sciences avait vu la lettre, où on disait être des amis, et avait commencé à nous poser des questions sur les noms de famille de nos mères… Fallait pas être très calé en généalogie pour voir que ça ne se tenait pas.

Alors sans destinataire, j’écrivais quand même, en quelque sorte, mais juste dans ma tête, où il se passait quand même pas mal d’affaires. Je pense que ça fait en sorte que je pourrais avoir des sujets pour les 20 prochaines années…

Autrement, j’écrivais ce qu’on me demandait d’écrire à l’école, sans en penser grand-chose. Je me souviens d’une fois, en secondaire 2 ou 3, où on devait écrire un récit d’aventures… La prof, dont tous ses élèves se souviennent parce qu’elle était très intransigeante (mais aussi absolument attachante et passionnée!), avait aimé mon texte à tel point qu’elle avait décidé de le lire à toute la classe. C’était si intense et expressif comme lecture que je n’étais plus sûre que c’était mon texte!

Un peu plus tard, en secondaire 5, j’écrivais des textes d’opinion dans le journal étudiant. À vrai dire, j’écrivais même le mot du rédacteur en chef, parce que ce dernier ne savait pas quoi écrire. Je sais pas vraiment pourquoi il était là, peut-être qu’il avait juste un kick sur une fille… mais c’est sûr que c’était pas moi!

Au cégep, pour répondre à l’appel de textes d’une revue naissante au Conservatoire (Quel était le titre? Je me souviens qu’il y avait une connotation végétale; j’ai juste Graines qui me vient en tête, mais c’est sûr que c’était pas ça…), j’avais écrit une nouvelle. Le rédacteur en chef m’avait dit : « C’est un peu naïf, mais par contre on a besoin de quelqu’un qui est bon avec les ordis pour faire la mise en page. » C’est là que c’est pratique d’avoir fait Informatique comme cours optionnel en secondaire 5, hein! Mais ça ne m’a pas donné le goût d’écrire des trucs moins naïfs… (Ah, tiens, le titre me revient : Engrais. Les mêmes lettres, juste pas dans le même ordre!)

Ce sont les voyages (dont je reparlerai) qui m’ont donné le meilleur prétexte pour écrire. Je le faisais souvent, avec plaisir. Dans les cafés Internet européens, où on payait l’accès à l’heure, je me suis pratiquée à écrire beaucoup de mots très, très vite! (Je suis d’ailleurs très triste d’avoir perdu cette correspondance quand ma première adresse courriel a été piratée. Si, par le plus grand des hasards, il y a parmi les lecteurs de ce blogue quelqu’un qui aurait encore ça… je serais tellement contente de remettre la main là-dessus!)

À l’université, j’ai beaucoup lu, mais mis à part quelques courriels hauts en couleur à des amis pour raconter des rendez-vous galants (très foireux), je n’ai rien écrit d’autre que ce qui était requis pour réussir les cours.

On le devine un peu, quand même, à travers tout ça, que j’ai toujours aimé écrire. Et pourtant, ça m’a pris quelque chose comme trois décennies à le réaliser. Je n’ai jamais rien écrit qui ne soit destiné à quelqu’un. Pas de destinataire, pas d’écriture. Était-ce de la paresse? Une impression de n’avoir rien à dire?

Un jour (c’est très récent, mais mieux vaut tard que jamais!), j’ai quand même compris que la masse critique de lecteur(s) dont j’avais besoin pour me botter le derrière, c’est 1. Entre cet éclair de lucidité et l’idée d’écrire un blogue, il n’y a qu’un pas… mais là aussi, j’ai hésité un temps. Je n’allais quand même pas écrire mon journal intime sur Internet!

Quand j’ai décidé de réinventer ma carrière d’une façon un peu inusitée, l’idée du blogue s’est imposée d’elle-même. C’est le fil conducteur dont j’avais besoin, celui qui me mènerait naturellement du particulier vers le général. À vrai dire, je suis moi-même étonnée des possibilités que ce thème ouvre : éducation, vocation, cognition, décisions, transitions, conciliation… Après tout, on passe beaucoup de temps dans une vie à travailler. Aussi bien y donner un sens.

Presque trente longues années, donc, avant de faire le choix conscient de consacrer du temps et de l’énergie à l’écriture, parce que j’aime ça et que c’est une très bonne raison de faire quelque chose, et me voici à vous écrire. Vous qui m’avez connue à l’école primaire ou secondaire, à l’orchestre, à l’université, ou en d’autres temps, sous d’autres cieux… Vous avez été quelques-uns à me dire que vous vous reconnaissiez dans mes récits (et j’en reparlerai, il y a là quelque chose qui me fascine); je ne nous avais pas cru si nombreux dans l’errance; la plupart du temps intelligents, mais si peu lucides… Combien de temps pour reconnaître ce qui nous transporte réellement? Pour regarder les angles morts et y relever enfin les indices qui ont toujours été là? Combien d’années pour faire quelque chose d’intelligent avec son intelligence, pour donner un sens à son existence? Pour certains, le chemin semble tout tracé; pour d’autres, ce sera le travail d’une vie que de chercher.

Mais revenons à la question initiale : être lue, est-ce important? Ça ne devrait pas être la condition sine qua non à l’exercice d’une passion, et pourtant, je suis obligée de reconnaître que ça l’est un peu, pour moi, bien que dans une minuscule mesure! Je ne ferai pas grand bruit pour attirer des lecteurs sur ce blogue (le fait que j’y parle – même à mots couverts – de mon emploi actuel m’incite à préserver un certain anonymat, et pour cette raison, je ne l’ai pas lié à mes comptes de réseaux sociaux), mais chaque fois que j’ai reçu une notification d’abonnement ou de commentaire, une onde de gratitude a envahi mon cœur. Chacun de vous, individuellement, suffit pour me donner envie d’écrire. Collectivement, vous êtes comme une tonne de crémage, et j’adore le crémage!

Merci à toi, cher lecteur, chère lectrice! Et n’oublie pas de sortir tes plus belles citations de journal intime!

P.S. – Après la publication de mon dernier billet, j’ai regardé dans mes vieux bulletins du secondaire pour voir si je n’avais pas trop trafiqué la réalité. La marge d’erreur est de 1 % : ça me semble raisonnable. En revanche, ce qui m’a le plus marquée, c’est ma note dans le cours Éducation au choix de carrière : 98 %!!! Belle ironie! Je sais pas si je devrais trouver ça drôle ou scandaleux! En tout cas, on peut douter de l’utilité des compétences qui sont évaluées pour prendre des décisions de carrière éclairées…

4 réflexions sur “Être lu, est-ce important?

  1. 1) On a eu des discussions foul intéressantes hier soir au souper et j’ai prescrit la lecture de ton blogue à une adolescente stressée qui cherche avec un papier et un crayon la liste des métiers qui lui conviennent parce que la madame de choix de carrière est stressante.
    Et là, glorieux moment de parentalité où tu te dis « j’ai foiré pas mal moins que ça pourrait avoir l’air », Monsieur l’Ainé guide ladite adolescente en lui disant «Lis! Rencontre des gens! Explore! et va vers ce qui t’intéresse, là tu vas te former. Le contraire c’est choisir une profession et se mouler dans ce qu’il faut pour y parvenir: c’est con.»
    J’ai discrètement essuyé une petite larme de fierté même si cette grande affaire de 6 pieds, sortie de moi, a eu l’intelligence de se nourrir, heureusement, à plusieurs sources.

    2) J’ai rêvé à Mme V.!Merci!

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    1. Ce blogue éclaire davantage le chemin à ne pas suivre… mais c’est peut-être ça qu’il faut retenir : il y a des bonnes chances que le chemin à prendre ne soit pas éclairé. Ou que l’éclairage arrive 20 ans plus tard.
      C’est vrai que c’est gratifiant quand la progéniture dit quelque chose de pertinent!

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  2. Bien d’accord avec toi; cela est donc EXTRÊMEMENT pertinent pour ouvrir l’esprit d’ados en recherche d’identité/intérêt/sens de la vie/etc!
    C’est très nice d’avoir ce genre de témoignage à offrir pour nourrir leur quête. Et pour élargir l’origine des idées à brasser! Merci pour ça!

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