Il y a quelque chose dans Carmina Burana qui rappelle vaguement la méthode Orff – vous savez, cette méthode d’initiation à la musique destinée principalement aux enfants, mais à laquelle les adultes peuvent s’adonner aussi… Des rythmes répétés en boucle sur des instruments simples (xylophones, boom-whackers, n’importe quel objet ou partie du corps qui produit un son). Tout seul, ça sonne comme rien, mais la somme des parties donne rapidement aux petits comme aux grands le sentiment de faire de la musique.
Mais, attendez… Carmina Burana a été composée par… Carl ORFF! Tiens donc… on s’étonne moins d’avoir l’impression de faire de la méthode Orff pour adultes en jouant cette œuvre : plusieurs mouvements de ce crowd-pleaser par excellence sont constitués d’ostinatos qui, additionnés ensemble, donnent à la pièce l’amplitude qu’on lui connaît.
Prenons le célébrissime premier mouvement (repris intégralement pour la finale, d’ailleurs) : la partie de piano pourrait tenir en deux lignes, trois tout au plus. De la cinquième mesure jusqu’à la 101e, je répète inlassablement le même motif, à divers endroits du clavier. En plus, la partition est pas regardable. On croirait que ça a été transcrit à la main par un aveugle sans dextérité qui n’avait pas de papier à portées ni de règle! D’un point de vue cognitif, c’est épouvantable parce que l’espacement entre les notes n’est pas constant, de sorte que l’écart graphique est parfois le même pour une quinte ou pour une octave. Comme je suis en train d’apprendre à programmer, ça m’a donné l’idée de réécrire ma partition en pseudo-code. Un exercice ludique qui a produit le « code » ci-dessous, totalement fantaisiste et inutilisable, le langage de programmation que j’apprends n’étant pas conçu pour la notation musicale, de toute évidence.
motif = (ré + la + do + ré)**2
while nuance_du_chœur == « pianissimo » : #Voir note 1 ci-dessous.
play(motif.pianissimo(tempo=132))
while nuance_du_choeur == fortissimo and battue == « en 3 »:
if pianist in pianistes_fous_furieux :
play(motif_tel_que_dans_la_partition) #Voir note 2 ci-dessous.
else:
play(motif.2OctavesPlusAigu.fortissimo(tempo=144))
if pianist in pianistes_fous_furieux :
play(motif_tel_que_dans_la_partition(tempo=160)*24)
else:
play(motif.2OctavesPlusAigu.fortissimo(tempo=160)*24)
#Sans oublier la note finale
play(ré**3.puissance(max))
1 Petite précision au cas où le chef ou des amis musiciens tomberaient là-dessus : on comprend en lisant ceci que je me fie seulement à la nuance pour changer de loop, ce qui n’est pas tout à fait orthodoxe. Normalement, je compterais, je vous le jure. Je compte toujours, comme on me l’a appris, 1-2-3-2-2-3-3-2-3-4-2-3-etc. etc. Bon, ça arrive que je me trompe, mais l’intention est là. Je suis très stricte là-dessus, voire rigide. Je ne compte jamais sur les autres pour entrer, je compte. Même que je compte presque à voix haute, on me le fait remarquer parfois. Je compte aussi quand il n’y a aucune chance que je me trompe parce que je connais la pièce par cœur et que je sais exactement où rentrer. Je compte même si, des fois, je serais peut-être un peu plus attentive à d’autres choses plus importantes dans la musique si je ne comptais pas. (Je lance un débat comme ça : Jouer au feeling = jouer avec feeling? Discutez.) C’est vous dire comment je compte… Mais dans le cas présent, ça ne servirait vraiment à rien que je compte. D’abord, le motif est joué 3 fois sur 2 mesures, donc 1,5 fois par mesure… c’est mêlant pour rien. Aussi, c’est assez difficile de jouer du piano dans l’orchestre : on n’a pas l’habitude de regarder un chef, et il n’est pas stratégiquement placé dans la vision périphérique, comme dans celle des violonistes par exemple. Il faut s’étirer beaucoup le gadget-o-cou pour le voir par-delà la partition. Bref, si je n’ai pas besoin de regarder la partition ni de compter, j’ai plus de ressources pour regarder le chef et écouter ce qui se passe. Tout le monde y gagne!
2 Jouer ce qui est dans la partition implique de se déplacer de plusieurs octaves en une fraction de seconde à répétition. C’est sûrement possible d’y arriver (Schumann aurait essayé), mais ça entraînerait probablement des problèmes physiques et/ou mentaux.
C’est sûr que répéter des motifs à l’infini, ce n’est pas aussi glorieux que jouer une superbe mélodie au violon… mais ça renforce une conception de la musique où le collectif l’emporte sur l’individuel. Et il y a un plaisir très physique dans le rythme, surtout quand il s’agit de « varger » très fort sur un piano, je trouve. Un défoulement tout à fait bienvenu. Y a pas juste les violons pis la mélodie dans la vie, t’sais!
Le livret est constitué de 24 poèmes médiévaux dont les sujets profanes, selon Wikipedia, « sont nombreux et universels : la fluctuation constante de la fortune et de la richesse, la nature éphémère de la vie, la joie apportée par le retour du printemps, les plaisirs de l’alcool, la chair, le jeu, la luxure, etc. » J’ai déjà affirmé que Carmina Burana était écrit dans une langue inventée et qu’en fait, Orff avait juste rajouté des terminaisons latines à des mots cochons, mais ce n’est pas tout à fait ça… En réalité, certains mouvements sont en latin, d’autres en ancien français, d’autres en mittelhochdeutsch. Moi, ça me fait quand même penser à des insanités de gars chaud qui essaierait de parler latin, français ou allemand, ou tout en même temps. D’ailleurs, une bonne partie de l’œuvre se déroule « À la taverne », et apparemment, il n’y avait pas de piano à la taverne, parce que je joue rien dans cette partie.
Est-ce grâce à ses sujets guillerets que l’œuvre plait tant au public? Par sa démesure? Parce qu’il y a tellement de monde sur scène (2 chœurs, des solistes, un orchestre gonflé qui comprend même 2 pianos!) et que ces gens-là amènent forcément leur public? Je ne sais pas… mais par contre, je sais qu’il reste encore quelques billets pour les deux concerts que nous donnerons à la Maison symphonique à la fin du mois de mars (mais très peu pour le concert du 23)!
Au programme :
Dona Nobis Pacem, Ralph Vaughan-Williams
Carmina Burana, Carl Orff
Chœur classique de Montréal, Ensemble Sinfonia de Montréal, Petits chanteurs du Mont-Royal (dir. Andrew Gray)
Myriam Leblanc, soprano, Jean-François Daignault, contreténor, Dominique Côté, baryton (23 mars), Nathaniel Watson, baryton (26 mars)
Sous la direction de Louis Lavigueur
Samedi 23 mars 2019, 20 h
Mardi 26 mars 2019, 20 h – SUPPLÉMENTAIRE