On est dans Charlevoix. Quand on a pris le dernier virage, celui juste avant la côte qui semble plonger dans le fleuve, à Saint-Irénée, j’ai souri d’une oreille à l’autre.
La vue est parfaite : de notre studio, haut perché dans les pentes du Domaine Forget, on voit le fleuve magnifique, ralenti par l’hiver. À l’est et à l’ouest, les montagnes.
Le temps est parfait : on est dans la fourchette de température confortable entre zéro et moins 10, le soleil est de la partie la plupart du temps, la neige est partout, de la neige « de qualité ». Parfois, il tombe une petite neige fine et brillante.

Le programme est parfait : on a trouvé un endroit à 10 minutes de notre studio pour faire tous les sports d’hiver qu’on aime dans des conditions incroyables; pour la relâche, un spa ouvre ses portes aux enfants (des enfants vêtus de petits peignoirs qui gardent le silence… une fille a bien le droit de rêver!); le soir, on joue à des jeux de société ou on regarde des films.
La cuisine est parfaite : on a été prévoyants et on a apporté des choses délicieuses en quantité, et il y a tout ce qu’il faut sur place pour préparer les repas. Si ce n’est pas encore assez, il y a les spécialités de la région, savoureuses et faciles à trouver.
Le site est parfait : il y a même des pianos pour que je puisse me préparer pour le concert qui s’en vient; et à chaque tournant, des flashbacks d’étés passés à pratiquer dans les cabanes en bois pleines d’araignées, le menton baignant dans une mentonnière inondée de sueur. J’ai apporté mon violon aussi, et quand je l’ai sorti de sa boîte, je lui ai dit : « Regarde où on est, violon! » Je pense que je l’ai senti vibrer.
La vie rêvée, quoi! Tout le monde doit être aux anges, hein? Hihihihahaha… Probablement qu’aucun parent ne sera surpris d’apprendre que ça chiâle tout le temps. (Ou peut-être que tout le monde s’en étonnera avec raison, parce que c’est juste dans notre famille que personne n’est jamais content? J’ai malheureusement l’impression qu’il n’est pas rare que des parents, après s’être démenés pour offrir quelque chose de bien à leur progéniture, pensant passer du bon temps en famille, se désolent de passer finalement leur temps à gérer les insatisfactions…)
« Il fait TROP chaud! »
« C’est un repas d’HORREUR ou quoi? »
Sans parler des crises, des hurlements (on s’excuse au groupe qui était là pour faire de la méditation…) pour ne pas s’habiller pour sortir. Du tirage de couverture infini. Des grognements d’animaux que je ne réussis pas encore à bien déchiffrer.
Par une ironique mise en abyme dont je me serais passée, je me plains moi-même le ventre plein, de mes enfants qui se plaignent le ventre plein. « First world problems », exposant 2. Mais j’aurais vraiment préféré écrire que tout est parfait.
En tout cas, quand nous prendrons la route pour revenir à la maison, bientôt, j’espère que les filles feront ce que nous avions coutume de faire chaque fois qu’on revenait du Domaine Forget : dormir tout le long, la bouche ouverte, fatiguées et contentes de notre séjour.
Et pour la relâche, l’an prochain, j’hésite entre le camp de natation à Montréal, pendant que papa et maman travaillent, parce que c’est très important d’apprendre à nager et que je me relâche assez bien quand les enfants s’endorment à 7 h… ou revenir ici avec des renforts!
Sur ce, le jour se lève, je vais en profiter pour aller marcher pendant que je suis la seule réveillée.

Une réflexion sur “Se plaindre le ventre plein”