C’était bien intéressant (et attendrissant pour mon coeur de mère), ce reportage sur la douance à Découverte. Pour ceux qui l’auraient manqué, vous pouvez voir le segment de l’émission en cliquant ici. Évidemment, 12 minutes, c’est peu pour faire état des connaissances actuelles sur la question. Mais pour ceux que ça intéresse, une des intervenantes du reportage, la neuropsychologue Marianne Bélanger, a récemment publié un livre sur la question, vous trouverez la référence au bas de la page.
Alors, qu’a-t-on appris? Que Simone aime l’art dramatique! (Mais il n’a pas été question des façons dont se manifeste son sens du drame au quotidien… C’est mieux comme ça!) Que c’est un « beau problème ». Que c’est une question plus complexe que « être très intelligent ». Que l’intelligence ne se mesure pas nécessairement en quantité, mais plutôt en qualité (ce n’est pas un jugement de valeur, évidemment; je veux dire par là que le cerveau des enfants doués est d’une nature un peu différente, comme leur façon d’enregistrer l’information et d’y accéder). Que l’intelligence, le QI peuvent changer au cours d’une vie. On a vu aussi comment fonctionnait le test que je n’étais pas capable de vous expliquer. (Et aussi qu’un bon cadrage peut faire des merveilles pour cacher le désordre dans une chambre d’enfants! Initialement, le tournage ne devait pas avoir lieu dans la chambre de Simone, alors vous imaginez bien que j’ai concentré mes efforts de ménage ailleurs… Bravo et merci au caméraman!) J’aurais aimé en savoir plus sur l’origine de la douance : quelle part on peut attribuer à une bonne génétique, ou à un environnement fécond.
Un jour, je ne me souviens plus de quoi on parlait exactement, Simone et moi, mais elle m’a dit très sérieusement qu’elle trouvait ça difficile les mathématiques. C’était peu de temps après la rencontre de fin d’étape avec son enseignante, qui m’avait dit au contraire que Simone était extrêmement forte en mathématiques. Qui croire, hein? J’ai pris le bulletin de Simone : « Regarde, il est écrit que tu as eu 98 % en maths. Moi, je pense que ça indique que tu es très bonne là-dedans, que tu as presque toujours la bonne réponse. » Et elle de répondre : « Oui, mais je trouve ça difficile. » Bref, cette enfant pourtant ultra intelligente confond carrément « avoir des difficultés » et « apprendre quelque chose de nouveau ». Elle a appris à lire comme par magie, alors qu’elle était encore à la garderie, donc évidemment, les cours de français, ça ne lui demande pas beaucoup d’effort. Mais les maths, oulala, c’est un apprentissage! Ça illustre bien, je trouve, le « problème » de certains enfants doués, la maladie qui n’est pas répertoriée dans les manuels diagnostiques, mais que sa professeure évoque dans le reportage : l’allergie à l’effort.
Dans un autre reportage sur une famille de surdoués diffusé récemment à Télé-Québec (est-ce un nouveau sujet à la mode?), on avançait qu’environ 5 % de la population peut être considérée comme « douée ». Comme Format familial penche davantage du côté human interest que du côté de la science, il est difficile de savoir d’où vient cette information et surtout quelle est la définition qu’on donne de la douance pour en arriver à ce chiffre. D’autres sources parlent de 2 à 10 % de la population. Mais je ne ressens pas le besoin de creuser plus pour en arriver à mes conclusions très simplistes : 1) c’est beaucoup de monde; 2) je serais bien étonnée que tous ces gens doués se soient soumis à une évaluation neuropsychologique qui aurait permis de conclure à un diagnostic de douance. J’aurais tendance à croire que tout ce beau monde-là se promène undercover parmi nous, avec une condition parfois même inconnue d’eux-mêmes!
À vrai dire, même Simone n’a jamais eu d’évaluation neuropsychologique complète. Elle est réputée douée parce que : 1) ça prend pas la tête à Papineau pour le voir à l’oeil nu!; 2) elle a réussi le test d’admission d’une école de douance (test très mystérieux dont on sait peu de chose, mais on sait que ça ne peut pas tenir lieu d’évaluation neuropsychologique complète, vu que ça dure 2 heures et que ça se déroule en groupe); 3) ses résultats au test de QI fait dans le cadre de l’étude, exprimés en rangs centiles pour les différents sous-tests du WISC-IV (et non pas consolidés dans un QI global), sont sans équivoque.
J’ai l’impression que souvent, les diagnostics de douance sont posés quand il y a des obstacles manifestes dans le parcours scolaire, ou des grandes difficultés émotives. La neuropsychologue en parle dans le reportage, et de façon plus détaillée dans un article que vous trouverez ci-dessous : la douance peut être accompagnée de troubles d’apprentissage, ce qui fait que le trouble d’apprentissage peut masquer le potentiel, et le potentiel peut masquer le trouble d’apprentissage. C’est ce qu’on appelle la double exceptionnalité. Par ailleurs, en plus des troubles d’apprentissage qui peuvent les affecter comme tous les autres enfants (dyslexie, dyscalculie, etc.), les enfants doués peuvent avoir toutes sortes d’autres enjeux : trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, anxiété, hypersensibilité, trouble du spectre de l’autisme. Souvent, il y aura aussi une dyssynchronie, c’est-à-dire que l’enfant ne se développe pas au même rythme dans différentes sphères. Par exemple, un enfant sera ultra calé en science, mais des lacunes en motricité fine l’empêcheront carrément d’écrire. Ou des capacités intellectuelles phénoménales cohabiteront avec un niveau de maturité (ou d’immaturité) d’enfant.
Mais supposons que dans les 2-3-4-5 % de personnes douées, selon la définition qu’on choisit, plusieurs auraient un profil relativement homogène et seraient capables de s’adapter aux exigences du milieu scolaire, de se fondre dans la masse… C’est sûr qu’il y en a autour de nous. La ligne est possiblement très mince, par ailleurs, entre « intelligence + travail » et « douance + lègère paresse intellectuelle »… Je ne serais pas étonnée par ailleurs que les gens qui correspondent à la première des deux catégories s’accomplissent davantage, et en tirent une plus grande satisfaction. Mais est-ce utile, pour la société, de tracer cette ligne, et pour l’individu, de se positionner (ou d’être positionné) par rapport à elle? Faut-il vraiment poser un diagnostic, comme si c’était une maladie? Et ce diagnostic, que change-t-il? Est-ce que le haut potentiel intellectuel peut s’exprimer même s’il n’est pas nommé? Ou est-ce le diagnostic qui permet de réaliser pleinement le potentiel? Évidemment, ce n’est pas noir ou blanc. Peut-être que comme société, on gagnerait à exploiter davantage ce potentiel, mais les avancées finissent toujours par arriver, j’imagine. À l’échelle individuelle, il y a vraisemblablement des avantages et des inconvénients à se savoir spécialement doué.
Une amie (qui a tendance à exagérer dans la vie en général!) dit parfois de moi que je suis une overachiever (je l’écris en anglais à défaut d’avoir un mot aussi évocateur en français). Selon moi, être un overachiever, ça veut dire avoir des limites connues, et les dépasser, contre toute attente ou presque. Je ne me reconnais pas vraiment là-dedans. J’ai beau connaître certains succès, que ce soit en musique (possiblement le seul domaine où j’accomplis des choses malgré des limites que je connais), en sport, ou même dans ma carrière, qui n’est pas déshonorante… mais je n’ai que très rarement l’impression de repousser mes limites, et jamais dans mon travail. Je la trouve décevante un peu, ma carrière, pas dans l’absolu (en soi, c’est un beau métier, la traduction, qui convient à merveille à certaines personnes), mais par rapport à ce que je pense que j’aurais pu faire si j’avais fait des choix intelligents, ou si j’avais travaillé davantage. Être intelligent, ou doué, c’est un début, mais faire quelque chose d’intelligent avec son intelligence, c’est ça, le vrai défi. Je suis contente d’avoir l’occasion de parler de ça à Simone alors qu’elle est encore jeune et qu’elle est capable de comprendre qu’elle a de la chance, mais que rien n’est magique, qu’il lui faudra nourrir sans cesse sa curiosité pour la satisfaire. À mes yeux, c’est précisément ça l’écueil invisible de la douance. On pourrait vouloir l’endormir, cette bête qui n’est jamais vraiment satisfaite.
Au final, vous comprendrez qu’être la mère d’une enfant douée m’a fait beaucoup réfléchir sur le fonctionnement de ma tête. Avec Simone, j’ai parfois l’impression de regarder à travers une petite fenêtre qui donne sur ma propre enfance. Mais c’est hasardeux de considérer les choses sous cet angle, parce que nous avons aussi des grandes différences. Par exemple, moi, je n’aime pas l’art dramatique! Et ce serait un peu étrange de penser que cette petite fille, du haut de ses presque 9 ans de vie, pourrait projeter sa lumière sur ma propre existence. D’habitude, la projection va plus dans l’autre sens, on identifie l’enfant à ses parents. Alors je ne peux pas simplement me dire que tout ce temps-là, j’étais comme elle, sans le savoir. La vérité, c’est que je ne le sais toujours pas. Cela dit, je ne ressens pas le besoin pour le moment de me soumettre à une évaluation pour en avoir le coeur net. Mais cette expérience de tournage m’aura permis d’être plus attentive à mes inclinations naturelles. Je suis déterminée, dorénavant, à faire l’introspection nécessaire pour savoir comment je peux apprendre efficacement, sans égard aux conventions, et ça tombe bien, parce que je me lance dans un projet d’apprentissage où je serai la seule maître à bord. « Connais-toi toi-même. » Le gars qui a dit ça, c’t’un génie!
Pour en apprendre davantage sur le sujet :
- Le livre de la neuropsychologue Marianne Bélanger sur la douance (extraits ici)
- Qu’est-ce que la douance et comment l’évalue-t-on?(article de Marianne Bélanger)
- Sur la double exceptionnalité (article de Marianne Bélanger)