Après quatre mois à parcourir l’Europe, je suis donc rentrée à la maison en décembre.

Le temps était venu de choisir un programme d’université. J’ai donc fait ce qu’on nous recommandait de faire à l’époque : éplucher le guide des programmes d’université. Un livre extrêmement plate, quand on y pense, avec des structures de programme, des titres de cours (y a-t-il quelque chose de moins évocateur qu’un titre de cours? Même les cours les plus passionnants ont souvent un titre assez plate!), des listes de prérequis… Rien pour inspirer une vocation à une ado qui manque d’imagination (et de connaissance de soi)! Je vous ai déjà parlé de mon aversion pour l’orientation avec GPS/téléphone intelligent, que ce soit à la maison ou à l’étranger. Pour moi, la quantité d’information sur les carrières disponible sur Internet de nos jours est à ce guide ce qu’un GPS est à une boussole. Aujourd’hui, on a infiniment plus d’information à portée de la main, et pourtant, rien de tout cela ne bat l’expérience et la conscience de soi, dans le monde ou dans notre monde intérieur. S’orienter, au propre comme au figuré, ça ne s’apprend pas dans un livre, ni en faisant des tests standardisés, ni en emmagasinant toute l’information disponible. D’ailleurs, assez récemment, j’ai refait un des tests d’orientation sur Internet : le fameux modèle RIASEC. Je ne me souviens plus des trois lettres de mon profil (et je ne referai certainement pas le test pour les retrouver!), mais je me souviens de la mention laconique qui suivit : « Aucun emploi ne correspond au profil XYZ. » C’est là que j’ai réalisé que je ne pouvais compter que sur moi-même pour trouver ma voie… Une épiphanie survenue près de 20 ans trop tard!
Alors comme plan A, j’ai choisi : Communications, à l’UQAM. Alors j’ai envoyé tous mes bulletins avec mes bonnes notes et mes diplômes, et quelques semaines plus tard, j’étais convoquée à une entrevue. Entrevue pour laquelle, dans mon insouciance juvénile, je me suis présentée habillée comme la chienne à Jacques, sans réelle préparation. Je me souviens encore de la face de mes parents quand je suis revenue : « – T’es allée à ton entrevue avec ton vieux kangourou en laine troué? – Non, le trou est réparé. – C’est quand même un vieux kangourou laid et inapproprié. » Je ne me souviens pas particulièrement du déroulement ni des questions de l’entrevue, mais je n’ai aucune difficulté à imaginer que mes réponses devaient être assez insignifiantes. D’abord, j’avais une fixation sur la communication vidéo (à cause de de la Course destination monde), alors que je n’avais jamais fait quoi que ce soit de présentable dans ce domaine. Et de toute évidence, ma force, c’est plutôt la communication écrite, mais je ne le réalisais pas à l’époque. En plus, j’étais encore pas mal introvertie, ce qui est assez inhabituel pour qui soumet sa candidature dans un programme de communications. Ça n’a pas fait très forte impression.
Comme plan B, rien pantoute. Je n’avais pas vécu assez d’échec (pas vraiment de « s » requis ici; je pense que mon seul véritable échec jusque-là était de ne pas avoir été capable de faire la roue dans mes cours de gymnastique que j’ai rapidement abandonnés) dans ma vie pour penser à un plan B, faut croire, même si le programme de Communications à l’UQAM est l’un des plus contingentés. Vous devinez bien que j’ai reçu peu après une lettre de refus et que je me suis retrouvée à chercher un autre programme après la première date limite du 1er mars, dans une liste qui avait considérablement rétréci. Oups! Tous les programmes le moindrement contingentés étaient maintenant off-limit.
C’est comme ça que j’ai découvert un nouveau programme et que je m’y suis inscrite : Études cinématographiques et littérature comparée. Le programme qui avait les titres de cours les moins beiges, je dirais. À la question « qu’est-ce que je pourrais faire avec ça après? », je me disais que j’enseignerais la littérature au cégep, sans égard au fait que j’ai toujours détesté faire des exposés oraux (conséquences d’un traumatisme à l’école primaire : mon enseignante m’avait obligée à faire une présentation même si j’avais oublié tout mon matériel à la maison…). On verrait en temps et lieu, j’avais la vie devant moi! Vous verrez dans les prochains épisodes pourquoi ce programme n’était pas un si mauvais choix, finalement, même si ça n’a pas été un facteur particulièrement décisif dans mes recherches d’emploi ultérieures…
Entre-temps, comme j’avais beaucoup de temps à tuer entre mon retour de voyage et la rentrée de septembre, ma mère avait insisté pour que je m’inscrive comme étudiante libre à l’université. Elle craignait peut-être que je prenne goût au travail? Mais j’avais un petit boulot abrutissant dans une maison de sondage… pas grand danger que j’y prenne goût… Et ce n’était pas si payant que ça non plus!
J’ai donc fait quelques choix de cours plutôt frivoles, à l’UQAM, pour ma culture personnelle : ethnomusicologie et chanson francophone à la faculté de musique, et théâtre québécois. Tout cela était fort intéressant et nourrissait plutôt bien ma curiosité, en plus de me faire découvrir le monde de l’université, où je me sentais tout de même un peu étrangère parce que tout le monde semblait avoir 10 ans de plus que moi.
J’ai aussi renoué avec la musique, qui m’avait finalement beaucoup manqué en voyage. Je me souviens d’un concert que l’OSJM avait donné pour un organisme de bienfaisance… Comme j’avais intégré l’orchestre en milieu d’année, je me suis retrouvée à jouer la Moldau de Smetana en lecture à vue, et ça avait un peu dégénéré dans les dernières pages, sous le regard très amusé de ma stand-partner (je ne la nommerai pas ici, mais c’est une personne qui a un rire très communicatif [et en fait, quand je dis « regard amusé », c’est un euphémisme pour « fou rire incontrôlable »], je pense que ceux et celles qui la connaissent la reconnaîtront!) et celui nettement moins amusé du chef!
Je me suis remise au piano également, mais comme je n’avais pas le temps d’apprendre mon nouveau concerto préféré avant le concours de concerto de l’OSJM, j’avais plutôt présenté du « remâché », le premier mouvement du Concerto no 2 de Rachmaninov. J’étais même retournée au Conservatoire pour prendre une leçon avec mon ancien professeur, qui trouvait que mon interprétation avait « mûri ». Je trouvais ça bien, que ça ait mûri, alors que je n’avais pas pratiqué pendant 6 mois! À ma grande surprise, moi qui ne m’étais jamais vraiment démarquée au Conservatoire, je faisais partie des trois instrumentistes qui joueraient en solo avec l’orchestre à la fin de la saison. Par un très grand hasard, on dirait que ma mère s’est arrangée pour synchroniser la numérisation des archives familiales avec ma Saga des mauvais choix, alors j’ai même des images d’archives de ce moment mémorable! Quel adon!
Ça peut sembler un peu difficile de concilier ces images avec que ce je vous racontais précédemment, mais il faut d’abord savoir que l’estime de soi est une chose complexe et changeante. Par ailleurs, il n’y a pas énormément de temps qui s’est écoulé entre ces deux périodes de ma vie (moins d’un an!), mais sous le pont, c’était tout un torrent! Beaucoup de changements majeurs sont survenus dans l’intervalle. Et au final, je pense que pour certaines choses, je suis une late-bloomer. Il fallait que je prenne du recul pour commencer à m’épanouir un peu.
À suivre…
2 réflexions sur “La saga des mauvais choix, ép. 5 – S’orienter”