La plupart du temps, j’écris vite. Quand je suis concentrée et inspirée, je peux écrire assez facilement 1000 mots par heure. (À titre de référence, en traduction, on demande généralement à une personne de traduire de 200 à 300 mots par heure; les idées sont fournies.) Alors quand j’ai rédigé mon mémoire de maîtrise en littérature comparée (sur un sujet à la fois très pédant et fantaisiste… attendez que je retrouve le titre : Échos wagnériens : la musique à l’oeuvre dans Docteur Faustus de Thomas Mann et Le jeu des perles de verre de Hermann Hesse!), j’avais beaucoup de temps! J’avais complété la scolarité dans les temps prévus, et j’avais l’incroyable luxe de recevoir des bourses qui assuraient entièrement ma subsistance. Pendant la période de rédaction, dans une bonne journée, je pouvais pondre une dizaine de pages, qui ne nécessitaient par la suite qu’un minimum de révision. Ce serait exagéré de dire que mon mémoire d’une centaine de pages a été écrit en dix jours… mais disons que j’alternais des périodes de productivité intense avec des périodes plus « calmes » consacrées à la lecture, à l’exploration (j’ai même fait un voyage de « recherche » en Allemagne et en Suisse!), à la revue universitaire dont je devais refaire le site Web, ainsi qu’à des choses plus frivoles.

Si bien qu’à un certain moment, j’ai eu le temps de commencer à penser à mon avenir. L’envie d’enseigner au cégep ne s’était toujours pas emparée de moi, alors j’ai pensé à la traduction. C’est pas fou, quand on y pense, pour une personne qui écrit vite et qui aime les langues, d’envisager la traduction comme métier. L’université Concordia offrait un DESS, un programme d’à peine un an qui comprenait également un stage, pour un maximum d’employabilité; c’était parfait pour mes besoins. Je m’y suis donc inscrite et j’ai commencé mes études en traduction tout en finissant de rédiger mon mémoire.

Commencé, c’est le mot juste; après une session seulement, j’ai interrompu le processus. Pourtant, ce n’était pas si pire, surtout cette session-là. Pour me lancer, j’avais choisi les cours qui me parlaient le plus : traduction littéraire (pas exactement un domaine en demande ni payant, mais bon…), traduction en sciences humaines (un choix logique compte tenu de mes intérêts)… Peut-être que c’est pour ça que j’ai arrêté : après, il ne restait plus aucun cours dans la liste qui me tentait! Pour vrai, je ne garde pas de mauvais souvenirs de ces deux cours-là (mais du troisième, terminologie, un peu quand même!) et je ne me souviens pas vraiment de ce qui m’a convaincue d’arrêter. Mais pour bâtir une carrière là-dessus, pour envisager de faire ça des dizaines d’années, c’était de très mauvais augure. De toute évidence, si je ne pouvais me résoudre à terminer ce diplôme pas trop forçant, c’était un bon indice que je ne trouvais pas ça très stimulant!

Pourtant, c’est un beau métier la traduction. Et je dirais même que ça recoupe assez bien certains aspects de ma personnalité. J’aime le français. J’aime me familiariser avec de nouveaux sujets. Cela me vient assez naturellement (trop peut-être). Ce que j’aime le plus de la traduction, c’est abstraire le sens des mots à traduire. L’abstraction, pas dans le sens de « s’en câlisser », mais dans le sens d’en extraire l’idée, de la détacher des mots de la langue d’origine, et de la restituer en français, avec les mots qui servent le mieux le sens en français, sans égard aux mots qui servaient le mieux le sens en anglais.

Malheureusement, il y a peu de contextes professionnels où cette capacité d’abstraction est valorisée! Si je pense à mes 10 ans de travail en traduction, je dirais que faire preuve de créativité avec la langue compte pour… peut-être 1 % de toute la patente? Le reste du temps, c’est beaucoup d’automatismes, beaucoup de temps à traduire des choses extrêmement redondantes et assez peu intéressantes, finalement. Énormément de temps perdu à remâcher ad nauseam des documents qui seraient mieux traités par des machines. Dans le milieu de la traduction, la « vieille garde » (mais aussi des « faux jeunes »!) s’inquiète beaucoup de la montée de la traduction automatisée. À mes yeux, c’est de l’ignorance et des craintes infondées, parce que si ces personnes savaient ce que les machines peuvent faire pour nous (c’est-à-dire traiter les pires textes, ceux qui se répètent à l’infini, déclinés sur tous les tons, et qui ne requièrent aucune créativité, j’irais même jusqu’à dire aucune intelligence tellement tout le travail est déjà fait… c’est comme être sur une chaîne de montage), elles réaliseraient que les « restants » seraient bien plus stimulants que ce dont on a nourri la vilaine bête informatique. Par exemple, en 10 ans, j’ai traduit ou révisé littéralement des dizaines, peut-être des centaines de fois ce type de document. Y a-t-il vraiment quelqu’un dans le métier qui tient à refaire ça encore et encore?

Dans ce contexte, je trouve que la traduction est à l’écriture ce que la régurgitation est à la gastronomie! Pour faire preuve de créativité avec la langue, j’ai besoin que des machines s’occupent de la job plate. Et à défaut de pouvoir mettre ma plume au service de quelque chose qui m’intéresse dans un contexte professionnel, j’aime nettement mieux être du côté de l’avancement technologique. J’aurai toujours ce blogue pour jouer avec les mots. Si un jour, je contribue (et la science des données pourrait m’amener là éventuellement) à créer des programmes qui traduisent de la documentation plate de cartes de crédit mieux que des vraies personnes, j’espère que mes collègues comprendront que je l’ai fait non pas pour leur voler leur job, mais pour que les machines s’occupent du travail aliénant pour que les compétences de mes collègues soient utilisées à meilleur escient et que leur travail soit plus valorisant. La traduction serait alors un métier bien plus intéressant.

Ne manquez pas les prochains épisodes de la Saga des mauvais choix pour savoir comment je me suis quand même retrouvée à faire de la traduction pendant 10 ans (dire que j’y retourne dans deux semaines…) après avoir interrompu mes études! Que de rebondissements absurdes dans cette saga!

Une réflexion sur “La saga des mauvais choix, ép. 7 – Un premier indice que ça s’en va nulle part

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