J’ai été traumatisée de la bouche plus d’une fois. Je vous ai raconté récemment la chirurgie maxillo-faciale que j’ai subie à la fin de l’adolescence. Une autre fois, enceinte, une fulgurante rage de dents m’avait causé des souffrances plus atroces que l’accouchement lui-même. Pas nécessairement en intensité, mais en durée… Ça avait pris beaucoup de temps avant qu’on me dise que c’était acceptable de prendre de la morphine au premier trimestre de grossesse, et les deux ou trois jours (les nuits surtout!) qui ont précédé ont été un très long calvaire! Accoucher avait été beaucoup moins long et avait au moins entraîné un résultat gratifiant… Ce ne serait pas très intéressant que je vous fasse la liste de tous les problèmes dentaires que j’ai eus, mais sachez que mon dentiste m’a déjà donné son numéro personnel pour que je l’appelle en cas de détresse. Je suis un cas à problèmes… et une mine d’or pour lui!

Ce n’est que très récemment que j’ai réalisé à quel point tout ce qui a trait à la santé dentaire est extrêmement anxiogène pour moi. C’est pourtant assez évident que ce genre d’épreuves peut entraîner des séquelles… Mais pour que j’en saisisse l’ampleur, il a simplement fallu que le dentiste prononce le mot « orthodontie » en examinant la dentition de ma fille aînée. C’est seulement au moment où j’ai vu le chemin de croix qui se dessinait devant elle que j’ai pris conscience de celui que j’avais parcouru. J’étais terrifiée à l’idée qu’on puisse lui infliger pareille torture…

Pour elle, tout a commencé par la perte prématurée d’une molaire, vers 7 ans. La dent avait d’abord cassé sous la pression des dents avoisinantes, puis avait fini par tomber sans que la dent d’adulte soit prête à pousser, laissant un trou qui se refermerait probablement si on laissait la nature suivre son cours, et empêcherait la dent d’adulte de pousser ensuite. La solution : un traitement orthodontique « interceptif » pour élargir le palais et maintenir les espaces. Interceptif, ça consiste à intervenir tôt pour éviter que ça dégénère par la suite… De la façon dont les choses nous ont été présentées, ne rien faire n’était pas une option. Alors on l’a fait.

Sachant que c’était un sujet sensible pour moi, j’ai délégué mon chum pour les rendez-vous chez l’orthodontiste. On a de la chance dans notre malchance : ma fille, depuis sa tendre enfance, adore aller chez le dentiste! Je pense qu’inconsciemment, j’ai tellement essayé de compenser pour ma propre anxiété que je l’ai convaincue que c’était vraiment une activité trippante! J’ai coaché mon chum : « Tu ne stresses pas, tu ne mentionnes pas que ça coûte cher, tu ne lui dis pas qu’elle va avoir un beau sourire. C’est rien de grave, on a des assurances et elle a déjà un beau sourire. » Ma fille a pleinement collaboré, s’est rarement plainte. On pourrait presque dire qu’elle s’est comportée de façon exemplaire, si ce n’était des trois fois où on a perdu l’appareil orthodontique dans un intervalle de deux semaines, dans le temps des fêtes. La première fois, l’appareil a été retrouvé collé sous un carton de lait, dans le sac de poubelle; la deuxième, sur un tapis, dans le corridor chez une amie; la troisième, à terre, dans un recoin du club de ski de fond…

Somme toute, ce n’est pas la mer à boire. On est encore bien loin d’un traumatisme, même si on n’a encore aucune preuve qu’un traitement subséquent pourra être évité à l’adolescence malgré l' »interception »… Au moins, sa mâchoire semble tout à fait normale et ne devrait pas avoir besoin d’être sciée! Mais des fois, je me demande ce qui serait arrivé si on n’avait rien fait. Elle aurait eu les dents croches, vraisemblablement. Elles auraient littéralement poussé « à la va-comme-je-te-pousse »! Aurait-ce été si grave?

L’impression que j’ai, c’est que souvent, les dentistes et orthodontistes veulent régler un « problème », parlent de l’aspect fonctionnel… Mais des dents qui poussent un peu croche, ce n’est pas forcément dysfonctionnel. J’en ai vu, des dents mal alignées, qui croquent et déchirent et mâchent à merveille, mieux que je ne pourrai jamais le faire malgré la chirurgie et les traitements d’orthodontie. Pour ma part, quand j’étais jeune, ma dentition était effectivement très dysfonctionnelle : je pouvais pratiquement passer un doigt entre mes deux rangées de dents en position « fermée »; vous pouvez imaginer que mes incisives ne remplissaient pas très bien leur rôle. Avoir la bouche fermée, ça me faisait forcer du menton; je ne me donnais plus cette peine. Mais la vérité, c’est que l’air hébété que ça me donnait, c’était un peu étrange aussi. Je dirais carrément que ça a l’air un peu débile, avoir toujours la bouche ouverte. (D’ailleurs, récemment, j’ai été servie à un comptoir par quelqu’un qui avait la bouche ouverte en permanence, et ma première réaction a été de le trouver extrêmement bizarre… À vrai dire, j’ai d’abord pensé qu’il était chaud raide! C’était le 24 décembre, et il avait aussi le regard un peu vitreux… Mais peut-être que c’était pas ça du tout!)

Aucun adulte n’a jamais dit : « Cette enfant est moche, arrangeons-lui la face au plus vite! » Mais des camarades de classe, évidemment, se sont chargés de se moquer de mes dents croches, de ma bouche ouverte comme pour gober des mouches… Quand j’ai choisi de me faire opérer, vers 15 ou 16 ans (après l’avoir refusé une première fois, à peine sortie de l’enfance), était-ce une décision fonctionnelle ou esthétique? Voulait-on, incluant la personne qui parle, rendre ma mâchoire fonctionnelle ou normaliser ma face? La ligne est très floue, je pense, et probablement pas juste pour les cas extrêmes comme le mien…

Je ne sais pas encore quelles décisions je devrai prendre pour ma fille, après le traitement initial. J’espère qu’il aura fonctionné et que ses dents d’adulte auront toute la latitude de pousser à des endroit plus ou moins appropriés, d’où elles pourront remplir leurs fonctions. Mais j’espère aussi qu’on ne s’acharnera pas dans la quête d’un « sourire parfait ». C’est déjà bien assez si un enfant a le goût de sourire…

Ça me fait penser que récemment, j’ai regardé une série (que j’ai par ailleurs beaucoup aimée) où la principale caractéristique d’un personnage (l’autre étant d’être un peu cave), c’est d’avoir des palettes extrêmement proéminentes. Déjà, c’est légèrement choquant : tu mets des fausses palettes à un beau gars, et soudainement ça devient un laideron et un ressort narratif pour ton histoire. Mais une fois, j’ai mis la télé sur pause, et quand on fait ça, la télé affiche des informations sur ce qui se passe à l’écran… Dans ce cas-ci, j’ai pu découvrir que le nom du personnage, c’est « Bus Rodent », le rat du bus (le personnage principal l’a rencontré dans l’autobus). Je trouve ça peu édifiant que sous couvert de plaisanter, des adultes se permettent de ridiculiser une caractéristique physique qui serait par ailleurs assez largement répandue si la société n’essayait pas constamment de faire rentrer dans le rang les choses qui dépassent un peu… J’imagine, mettons, des ados aux dents croches, avec ou sans broches, constater que des adultes cautionnent des moqueries du même genre que celles qu’ils ou elles peuvent subir de la part d’autres ados. Finalement, comme société, on tolère assez mal ce qui est un peu croche, un peu différent. Et soyons honnêtes, ça, ce n’est pas très beau.

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