Hier, j’ai remis les pieds dans une salle de concert pour la première fois depuis plus d’un an. Pas n’importe laquelle: la seule et unique Maison Symphonique, qui me rappelle des souvenirs très chers. En temps normal, j’assiste assez rarement à des concerts: ceux auxquels je participe moi-même accaparent le temps que je pourrais consacrer à ceux des autres. Mais comme ce n’est pas demain la veille que je recommencerai mes activités d’orchestre, j’ai le temps…

J’y suis allée avec ma fille de 8 ans: à l’intense satisfaction ressentie de retrouver quelque chose dont on a été trop longtemps privée se superposaient l’émerveillement et la curiosité de ma fille découvrant la magie du concert symphonique. Ce n’était pas sa première visite dans ce temple musical, mais les autres étaient pour des spectacles jeunesse… et d’ailleurs, le public d’hier n’avait rien d’un public jeunesse! Nous avons compté un grand total de deux enfants dans l’assistance, incluant la mienne, et j’étais possiblement la troisième plus jeune… J’exagère un brin, mais le public classique à Montréal n’est pas né de la dernière pluie, disons…

Je me suis fait un plaisir de nourrir sa curiosité avant le concert (et j’ai essayé un peu en vain de la freiner pendant!), avec des détails sur l’octobasse, l’orgue, le déroulement, les oeuvres… Fait remarquable, il y avait deux compositrices au programme.

– Sais-tu c’est quand la dernière fois que j’ai assisté à un concert où deux des trois oeuvres au programme avaient été composées par des femmes? – Non… – C’est jamais.

À vrai dire, je ne suis même pas sûre que j’ai déjà entendu une oeuvre composée par une femme à la Maison Symphonique. (Je dois avouer que je ne m’intéresse pas beaucoup à la musique contemporaine; c’est mon angle mort personnel.) Mais force est de constater que les compositrices d’époques antérieures ne se sont jamais trouvées dans des conditions qui auraient laissé leur talent s’épanouir.

J’ai déjà évoqué dans ce blogue Clara Schumann, née Wieck. Brahms lui avait écrit une lettre et lui disait entre autres de faire attention à ses petites mains de femmelette (je paraphrase, ce ne sont pas exactement ses mots!) en jouant la Chaconne de Bach qu’il avait transcrite pour elle, oubliant semble-t-il qu’il s’adressait à l’une des plus grandes pianistes du 19e siècle, à qui il confiait parfois le soin de créer ses oeuvres.

Or, Clara Schumann était également compositrice, et j’ai appris en achetant mes billets de concert (j’ai mis la main sur la dernière paire!) qu’elle avait composé un concerto pour piano qu’on n’entend pratiquement jamais. Un concerto dont rien ne justifie qu’il soit pratiquement tombé dans l’oubli. J’en suis reconnaissante à Yannick Nézet-Séguin et à l’OM de me l’avoir fait découvrir.

Comme plusieurs femmes musiciennes de son époque, ses élans créateurs ont été freinés, sinon anéantis par un entourage (souvent le mari, lui-même musicien, ou la famille) qui n’encourageait pas l’activité créatrice des femmes. Les femmes devaient avant tout être des mères. Clara a d’ailleurs eu 8 enfants en 16 ans, avant que Robert sombrent dans la folie et meure à l’asile… On devine que ce n’était pas lui qui torchait la marmaille.

L’histoire de Clara Schumann n’est pas un désastre sur tous les plans, parce qu’elle a au moins pu s’épanouir comme pianiste, faire de grandes tournées européennes comme interprète… À vrai dire, elle gagnait mieux sa vie que son mari, malgré les obstacles de la maternité.

Mais ce qui fait mal à imaginer, c’est le renoncement… c’est de savoir que ces femmes, Clara Schumann, Fanny Mendelssohn, Alma Mahler et sûrement de nombreuses autres (on connait seulement les noms de celles dont le mari ou le frère était célèbre…) se sont tellement fait répéter que la composition était hors de leur portée qu’elles ont elles-mêmes fini par le croire :

« Il fut un temps où je croyais posséder un talent créateur mais je suis revenue de cette idée. Une femme ne doit pas prétendre composer. Aucune encore a été capable de le faire, pourquoi serais-je une exception ? Il serait arrogant de croire cela, c’est une impression que seul mon père m’a autrefois donnée. »

Clara Schumann

Après la mort de son mari, elle n’a plus composé, se contentant de réaliser des transcriptions des oeuvres de son mari et du jeune Brahms, qu’elle a pris sous son aile, présenté aux bonnes personnes…

Je vous laisse sur un extrait du concerto de Clara Schumann, interprété par Isata Kanneh-Mason, une jeune soliste noire, sous la direction de Holly Mathieson. Malheureusement, c’est encore presque une curiosité en 2021 de voir une femme diriger un orchestre (rappelons qu’encore récemment, un certain chef russe s’est solidement mis le pied dans la bouche en exprimant quant aux femmes chefs d’orchestre des idées tout droit sorties de l’époque de Clara Schumann) et des personnes noires s’illustrer en musique classique. Espérons qu’un jour, ce ne soit plus nécessaire d’en parler.

Un extrait du concerto pour piano de Clara Schumann

AJOUT: Je viens de voir que le critique musical du Devoir en a aussi parlé récemment, dans un article qui pourrait vous faire faire de nouvelles découvertes

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