Le niveau de procrastination atteint pour la rédaction de ce chapitre de ma saga des mauvais choix demeurera à jamais inégalé: il s’est écoulé presqu’un an depuis que je vous ai fait le récit de ma tentative ratée de conversion en kinésiologue sur fond de post-partum…

C’est que ça ne m’a jamais semblé très intéressant de parler de cette longue période où il ne s’est pas passé grand-chose, sur le plan professionnel. Entre mon retour de congé de maternité en 2014 et le début de mon congé de formation en 2019, ce fut un long quinquennat de confortable platitude. Familialement parlant, par contre, c’était haut en couleurs. J’imagine que j’avais besoin de cet arrière-plan calme et beige pour vivre les remous de la maternité. Je suis restée longtemps dans cet emploi qui m’ennuyait parce que, somme toutes, ça m’offrait une stabilité et une flexibilité difficiles à battre. En marge, j’avais aussi beaucoup d’activités musicales qui me stimulaient, hors du 9 à 5.

Mais voilà, c’était plate. La traduction, c’est un travail noble qui convient à merveille à certaines personnalités. On pense aux personnes un peu introverties, amoureuses de la langue, qui cherchent un environnement calme où on leur sacre patience la plupart du temps… C’est une excellente job pour limiter les interactions humaines, et Dieu sait que les interactions humaines, c’est souvent là que le bât blesse au travail!

Moi, la répétition infinie du même processus – anglais in, français out –, ça m’ennuyait à mort. Je me sentais comme une machine; une machine extrêmement bien huilée, mais une machine quand même. Je considère que j’ai deux super pouvoirs liés à l’écriture: 1) être créative avec mes métaphores (tel que l’avait entrevu ma prof de cégep prophétique?); 2) déverser les mots à une vitesse ultra rapide. Jamais talents n’auront été aussi peu utilisés qu’au cours de ma carrière comme traductrice dans le domaine bancaire!

J’ai déjà, dans ce blogue, comparé la traduction à de la régurgitation… Je n’avais peut-être pas besoin d’être aussi crue dans ma métaphore, mais pour citer encore une (dernière?) fois un leitmotiv de ce blogue:

Je ne suis pas bien du tout assis[e] sur cette chaise / Et mon pire est un fauteuil où l’on reste / Immanquablement je m’endors et j’y meurs

– Hector de Saint-Denys-Garneau, Regards et Jeux dans l’espace

Le petit éclair de lucidité de mes 18 ans, moment où je ne connaissais à peu près rien de moi-même ni de mes aspirations, sauf ça… je l’ai tellement enterré! Ou peut-être plutôt que je l’entendais encore cette petite voix, douloureusement, en me sentant agoniser sans pourtant savoir comment me tirer de là.

Les seuls moments où j’ai eu un peu de plaisir en traduction, c’est quand une « urgence nationale » se présentait, et qu’il fallait travailler avec le fusil sur la tempe. J’aimais ça, quand on me demandait de traduire 2-3000 mots avant midi en me disant « à l’impossible nul n’est tenu ». C’est déjà arrivé qu’en fin d’avant-midi, après que j’aie bouclé (mais pas bâclé; je pense même que je traduisais mieux dans ces circonstances!) une traduction qui aurait « dû » prendre plus de temps, on me demande d’attendre une heure ou deux avant de la livrer, juste pour pas que nos partenaires pensent que c’est possible d’imposer des délais aussi courts…

Mais après, il fallait quand même rester jusqu’à 17 h. Et c’est là que je prenais la pleine mesure du fait que l’horaire imposé était tout le contraire de mon « rythme interne », qui consiste à travailler extrêmement vite sur de courtes périodes. J’aurais sans doute mieux fait d’être travailleuse autonome: j’aurais vraisemblablement pu travailler beaucoup moins d’heures et faire autant d’argent. Mais je n’ai jamais eu assez le goût pour me lancer.

À quelques reprises, j’ai regardé ailleurs pour voir si le gazon pourrait y être plus vert. J’ai été tenté par un poste à temps partiel au magazine L’Actualité, qu’un ami avait qualifié de pré-retraite… Pourtant, un temps partiel ne m’aurait pas rebutée (j’aurais sans doute eu beaucoup de projets pour combler les heures ainsi libérées!), et je savais par expérience que je préférais la révision unilingue à la traduction. Très honnêtement, travailler à La Semaine m’avait amusée beaucoup plus que les longues années à la Banque. Alors je m’imaginais qu’un magazine de qualité, instructif, assouvirait ma curiosité encore bien davantage, et que j’y fréquenterais des gens formidables. Mais il y avait beaucoup d’appelé.e.s (on racontait que plus de 300 cvs avaient été reçus, et seulement une dizaine s’étaient rendus comme moi à l’étape du test de compétences!), et une seule personne choisie…

Une autre fois, on m’avait offert un poste de traductrice avec plus de responsabilités et d’autonomie, et une date de fin (c’était un remplacement de congé de maternité). Les conditions salariales n’étant pas plus avantageuses malgré les responsabilités accrues, ce qui m’intéressait le plus était la date de fin: je m’imaginais alors me réorienter une fois au chômage… J’ai quand même eu la présence d’esprit de réaliser que si le facteur qui fait pencher la balance, c’est l’espoir que ça ne durera pas trop longtemps, CE N’EST PAS UNE BONNE IDÉE! C’est more of the same, juste une nouvelle façon de faire durer le déplaisir en effectuant le même travail ailleurs. C’est changer 4 trente sous pour une piasse.

Puis, j’avais tâté le terrain auprès d’une autre compagnie qui cherchait à combler un genre de poste hybride entre la traduction et les services technologiques. J’aurais peut-être pu trouver mon bonheur dans ce travail plutôt niché. L’entrevue avait été l’une des plus intéressantes de ma carrière… mais le poste a finalement été comblé à l’interne.

C’était en 2015. Ce processus m’avait au moins inspirée à proposer des meilleures solutions technologiques au sein du service de traduction dont je faisais déjà partie, et pendant quelque temps, j’ai surfé sur cette vague idée d’améliorer les façons de faire. Mais avec le recul, je constate que j’ai beaucoup travaillé dans le vide, presque uniquement pour mon propre divertissement, parce que bien peu de mes propositions se sont concrétisées. Beaucoup de collègues en traduction se plaisaient à répéter inlassablement les mêmes gestes et se méfiaient de la traduction automatique comme de la peste, dans la crainte que les méchantes machines les rendent un jour inutiles (ce jour se rapproche de plus en plus: il faudra toujours une intervention humaine pour bien rendre le génie de l’autre langue; toutefois, beaucoup de textes ne font jamais appel au « génie de la langue », surtout en entreprise). Qu’importe: pendant que je planchais là-dessus, je n’étais pas en train de mourir d’ennui.

Aurait-il été préférable que je ne me lance pas dans de tels projets pour trouver plus vite la porte de sortie et un sens à ma carrière? Peut-être que, sans le savoir, je prolongeais mon agonie de traductrice et retardais le début de ma deuxième carrière? Sans doute un peu. Mais je ne pouvais pas m’en douter, parce que les conditions extérieures qui rendraient possible ma deuxième carrière commençaient tout juste à prendre forme!

En tout cas, je suis bien contente que tout ça soit derrière moi! Et vous n’aurez pas à attendre très longtemps pour la suite, parce que j’ai tellement procrastiné pour écrire ce chapitre que j’ai écrit le prochain avant! À très bientôt!

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