Quand j’étais jeune, j’avais beaucoup de difficulté à comprendre comment des gens pouvaient pleurer en écoutant un concert. Je ne trouvais ça ni triste, ni bouleversant de beauté. Et encore, je ne comprenais probablement pas alors que quelque chose de beau puisse émouvoir une personne au point de la faire pleurer. Il faut dire que j’ai longtemps eu le range émotionnel d’un champignon. J’exagère un brin, mais avec le recul, j’ai quand même l’impression d’avoir été une enfant/ado très peu expressive et vraiment beaucoup dans ma tête.

Mais, pour toutes sortes de raison, je suis devenue une adulte avec une palette émotionnelle beaucoup plus vaste! Si bien que maintenant, j’ai la larme assez facile, et je pleure fréquemment dans des endroits plus ou moins appropriés, notamment au concert…

En voyage, par exemple, un moment m’a marquée sans toutefois apparaître dans mon diaporama. Nous avons entendu un choeur amateur d’hommes donner un concert du midi à la Cathédrale St. Giles d’Édinbourg (en voyage, il m’arrive souvent d’assister à des messes ou à des concerts, gratuits ou pas, parce que je suis trop cheap pour payer la visite d’une église… et aussi parce que j’aime la musique!).

Si on cherchait un équivalent québécois à ce choeur, ce serait quelque chose comme le Choeur d’hommes de la paroisse de Repentigny… sauf que ça n’existe pas tant, des choeurs d’hommes en banlieue/région au Québec: souvent, les choeurs mixtes ont toute la misère du monde à garnir leurs sections de ténors et de basses! Mais la tradition chorale anglaise, c’est autre chose, et cela permet de rassembler un nombre minimal d’hommes qui savent chanter.

(Nous avions aussi prévu aller à la prière chantée du soir à St.Mary’s, où se produit habituellement l’un des meilleurs choeurs du Royaume-Uni, et le premier choeur à avoir accueilli des filles dans ses rangs… mais malheureusement, les vacances scolaires venaient de débuter, alors on a été prises avec la prière dry. On s’est éclipsées en douce! Mais ça m’a quand même fait réfléchir à la ségrégation des garçons et des filles dans les choeurs d’enfants. Je trouve que c’est une tradition particulièrement sexiste, et quand j’entends parler de « pureté » des voix de jeunes garçons, ça me donne un peu le goût de squeezer une partie de l’anatomie de mon interlocuteur pour entendre sa voix de tête… J’exagère, je ne suis pas violente, mais je suis féministe, et ce n’est clairement pas à cause de caractéristiques physiologiques qu’on empêche les filles de chanter avec les garçons, ou qu’on a très longtemps empêché les femmes de jouer dans les orchestres… Fin de la très longue parenthèse, revenons à nos moutons!)

Ce choeur de vieux monsieurs (il semble que c’est un prérequis de certains choeurs d’approcher de la retraite!) était extrêmement touchant. Leur exécution était honnête, ce n’était rien de renversant sur le plan musical… mais l’énergie, la ferveur! Leur cheffe, pas une petite jeunesse non plus, les dirigeait avec une main de fer dans un gant de velours. Et pendant qu’ils profitaient d’une petite pause à mi-chemin, elle a joué avec virtuosité une sonate entière à la flûte à bec. Tout cela m’a un peu réconciliée avec la musique moins-que-parfaite. Au final, ce qui est touchant, c’est bien plus l’intention de donner le meilleur de soi-même que le niveau de l’exécution musicale.

Tout ça pour dire que j’ai eu l’oeil un peu humide ce midi-là, mais ce n’est rien comparé au déluge qui me guette quand je vois mes enfants en concert. J’ai déjà parlé un peu ici de tout ce que cela fait résonner en moi de les entendre, mais on dirait que ce sillon-là se creuse de plus en plus à mesure que leurs expériences musicales prennent de l’ampleur.

Il y a trois semaines, nous avons reconduit nos enfants à leur premier camp musical. La plus vieille n’était pas trop sûre de vouloir passer deux semaines dans un environnement inconnu sans trop de visages familiers… La plus jeune ne s’est même pas retournée à notre départ; elle était déjà ailleurs.

Et la semaine dernière, nous avons repris la route pour aller les chercher et entendre leur concert de fin de camp. On a tout de suite vu l’épanouissement maximal de notre grande branche (aka Rossignol, mais je trouve que son nouveau surnom de grande branche lui va mieux: ça fitte avec son nouvel instrument, avec qui elle partage la forme d’une grande branche [avec moins de boutons!]; qui plus est, ça donne encore plus de sens au surnom de la plus jeune… Pic-bois!] qui avait vécu sa première expérience d’orchestre, alors qu’elle a pris un basson dans ses mains pour la première fois au début de 2022! Pic-bois avait aussi l’épanouissement bien imprimé dans le visage, avec toutefois un niveau d’épuisement qui frôlait l’évanouissement… Tout ne peut pas être parfait!

Le concert se déroulait dans une toute petite église, avec tout juste assez d’espace pour tous les instruments de l’orchestre. (Et pour le choeur, je pense que c’était pire que mes concerts du secondaire avec 300 personnes sur une scène pas mal plus grande… risques d’évanouissement ici aussi! Heureusement, il ne faisait pas trop chaud.)

L’orchestre a lancé le bal. Déjà, je capotais de voir Grande Branche s’accorder (et ces jeunes s’accordaient avec une discipline dont devraient s’inspirer certains orchestres amateurs…). Ce serait mentir de prétendre que je l’ai entendue jouer dans les deux pièces incroyables montées en cinq jours seulement… Le son de son basson se mélangeait avec les trombones, tuba, contrebasses, etc. Mais je la voyais respirer avec les autres, compter ses mesures de silence avec beaucoup d’enthousiasme… et j’ai vu toutes les expériences que cela rendrait possible pour elle tout au long de sa vie, parce que je me suis rappelé toutes les portes que la musique a ouvertes pour moi. Déjà, j’avais l’oeil légèrement humide.

Mais la chorale! Comment dire… entendre des enfants chanter en choeur, c’est la chose la plus susceptible, dans tout l’univers, de faire céder mon barrage lacrymal. Mais en plus, le répertoire choisi appuyait sans relâche sur le bouton de l’émotion, avec une recette assez simple: quelque soit l’histoire racontée, qu’elle soit triste ou joyeuse, à la fin, c’est la musique qui sauve la mise. La musique qui répare tout, embellit tout, console de tout. Quand on voit le monde brisé: la musique; quand on est en amour: la musique; quand on s’émancipe: la musique; quand quelqu’un meurt: la musique.

Lorsque les enfants ont entonné Papa, de Claude Gauthier, j’ai tout de suite compris où ça s’en allait, et que je n’allais pas être capable de retenir mes larmes (mais à quoi bon les retenir, de toute façon?)… Alerte divulgâcheur: ce n’est pas avec une Julie ou une Caroline que le petit Claude est tombé en amour et part faire sa vie le jour de ses 18 ans…

Dans n’importe quel autre contexte, je pourrais écouter cette chanson sans pleurer. Mais d’écouter ça en prenant la mesure de l’intensité de ce que mes enfants ont vécu en toute autonomie pendant ces deux semaines… ce trip de gang ultime où tout est fête! J’ai participé pendant plusieurs années à un camp musical dans mon adolescence, mais c’était un camp qui s’adressait principalement à des instrumentistes plus avancés; davantage un camp de perfectionnement individuel. Je n’ai pas souvenir d’avoir vécu un tel déchirement en partant du camp.

Car pour finir d’enfoncer le clou une fois le concert terminé, les monitrices et le moniteur chantent une chanson d’adieu (sur une musique de Richard Desjardins) et tout le monde braille et est inconsolable. Une chance pour moi, j’étais ailleurs, en conversation avec une prof, pendant ce moment. J’aurais possiblement braillé plus que mes enfants et ça aurait été ridicule!

Je savais déjà (mais pas depuis si longtemps; je n’en ai pris réellement conscience qu’à l’âge adulte) qu’il est difficile, après avoir goûté à un univers où tout est musique, de le quitter pour retourner dans la « vraie vie ». J’ai trouvé ça dur de voir mes enfants aussi tristes ce jour-là, mais je trouve grand réconfort en pensant qu’elles ont été heureuses de façon tout aussi extrême pendant ces deux semaines, et que cela met la table, je l’espère, pour une vie de musique.

Une réflexion sur “Chansons pour faire pleurer les parents

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